Interview de Jean-Pierre Raffalli

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Jean-Pierre Raffalli
Jean-Pierre Raffalli
Certified coach and management consultant with experience in transformation programs
International Process Consulting


Présentation

Bonjour M. Raffalli, Pouvez-vous nous préciser quel est votre secteur d’activité et quelle est la spécialité dans laquelle vous intervenez ?
J’interviens dans l’accompagnement des organisations qui vivent une mutation importante, qu’elle soit due à une pression conjoncturelle ou structurelle, c’est à dire, liée à une pression forte de l’environnement (crise économique, nouvelles réglementations, positionnement concurrentiel,…) ou bien liée à un impératif de croissance ou décroissance.

En quoi consiste votre profession ? Et comment en êtes-vous arrivé là ?
Comme consultant, j’accompagne des organisations dans la traduction en comportements, des changements – souvent structurels – que l’entreprise a ou souhaite mettre en oeuvre. La plupart du temps, les équipes en charge du changement, ont une vision assez précise de ce qu’il convient de faire en termes de changements des processus et de l’organisation du travail, mais ont du mal à traduire cela sous forme de changement des comportements des acteurs. C’est l’ensemble de ces comportements ou manières de faire, que l’on appelle culture, qui constituent l’enjeu principal du changement, car, si l’on change la structure organisationnelle et/ou les processus, sans changer la manière de vivre l’entreprise, ces changements ont peu de chances d’aboutir à un réel gain de performance. Mon métier consiste plus particulièrement à aider l’entreprise à traduire les changement organisationnels et structurels en changements de comportements, puis d’accompagner les équipes dans l’apprentissage, par la mise en oeuvre, de ces nouveaux comportements. Ce qui m’a amené à ce métier, c’est à la fois mon expérience de dirigeant dans la grande distribution, tant comme patron de centres de profits, que comme animateur des réseaux de chefs d’entreprises indépendants. Ces fonctions m’ont amené très tôt à être confronté à la logique de projets et d’accompagnement du changement dans le contexte très tendu de la grande distribution en France. J’ai aussi été très tôt attiré par l’univers du développement personnel, de la formation et du coaching. L’addition de ces deux univers m’a “naturellement” amené à ce métier.

Les valeurs

Qu’est-ce que les valeurs pour vous ?
Pour moi les valeurs sont l’expression des limites que chacun se fixe, du fait, à la fois de son héritage génétique (que l’on appelle nature), et de sa culture (ensemble éducation et expérience de vie). L’expression des valeurs est pour chacun d’entre nous, une sorte de carte d’identité culturelle et génétique qui, même si on considère qu’une valeur n’existe qu’en tant que concept, constitue notre manière unique d’interagir avec le monde. 

Les valeurs des employés constituant l’entreprise doivent-elles être placées sur un plan primordial ? Ou au contraire est-ce dérisoire face aux exigences des dirigeants ?
Ce qui prime en entreprise, c’est bien sûr la culture, c’est à dire l’ensemble des comportement et manières de faire le business, créés et éventuellement amendés par le fondateur et les dirigeants successifs. Néanmoins, j’ai pu souvent observer que, lors d’une mutation fondamentale (par exemple, un service public soudainement soumis aux lois du marché), les valeurs individuelles des employés, peuvent êtres heurtées par le changement de culture que la mutation impose. Dès lors, le changement n’est possible qu’à condition que les dirigeants parviennent à faire coller la nouvelle culture avec les valeurs individuelles. 

Pensez-vous que les employés devraient avoir un minimum de valeurs en commun avec les dirigeants ? Ou au contraire, une entreprise devrait-elle prôner la diversité culturelle et l’éclectisme afin de construire une culture vaste permettant a chacun de pouvoir s’exprimer et évoluer dans le sens qu’il désire ?
Comme vu plus haut, si l’on considère que les valeurs individuelles sont comme une carte d’identité, je ne pense pas que l’on puisse les faire évoluer pour être plus en phase avec les valeurs des dirigeants. Par contre, on pourrait être tenté de remplacer des employés dont les valeurs seraient en conflit avec celles des dirigeants ou – comme je l’observe régulièrement, surtout dans les comités de direction – de ne recruter que des collaborateurs partageant les mêmes valeurs. Si cela favorise une plus grande cohésion, j’observe que rapidement, le groupe a besoin de sang frais. Travaillant avec des outils de profilage de la personnalité et des comportements, je suis souvent appelé à ce moment où, ayant atteint un certain stade de développement, le groupe n’évolue plus et les conflits se multiplient. Cela est souvent du à une trop grande similarité dans les personnalités et modes d’action (normal si l’on considère que la culture du groupe est prédominante sur la culture individuelle). Je plaide donc pour une plus grande diversité, notamment au sein des comités de direction, mais suis convaincu que cette solution est la plus difficile à gérer pour les dirigeants et le groupe lui même car nécessitant une meilleure capacité à la régulation et des compétences accrues en communication et écoute active, ce qui n’est pas forcément prioritaire pour la plupart des acteurs.

La culture d’entreprise

Nous avons vu les valeurs du point de vue des employés, mais nous allons à présent aborder ce qui fait le cœur de l’entreprise : sa culture ! 

Est-ce que la culture d’entreprise est un sujet qui vous touche ?
Je pense que les réponses précédentes donnent un aperçu de l’intérêt que je porte à la question. Plus sérieusement, je crois que c’est un sujet clé dans toute intervention en Développement des Organisations. Que l’on soit recruteur, consultant en marketing, coach, formateur, consultant en stratégie, etc, la non prise en compte de l’élément culture, dans l’élaboration d’un programme, constituerait, selon moi, une quasi faute professionnelle.

Qu’est ce que ça représente pour vous ? Pour les entreprises avec qui vous travaillez ? Est-ce que cela compte réellement ? En terme d’illustration de nos propos : vous intervenez ponctuellement auprès d’entreprises, vous avez donc dû voir beaucoup de règles tacites, de façons de travailler, de cultures d’entreprise. Pourriez-vous nous donner des exemples forts qui vous auraient marqué ?
L’exemple qui me vient à l’esprit est celui d’une entreprise dont la culture (centenaire) était basée sur le fait de systématiquement créer un produit unique pour chaque demande client. Il s’agissait d’une culture basée à la fois sur la satisfaction de la demande client et la créativité et tout le fonctionnement de l’entreprise était basé sur cette alchimie. Les principaux concurrents ayant changé radicalement l’approche client sur ce marché, en basant leur offre sur un catalogue produit plutôt que sur la singularité, l’entreprise a perdu d’importantes parts de marché et commencé à ne plus être rentable. Les dirigeants ont alors décidé de changer, à la fois la structure organisationnelle et les processus, passant d’une structure régionale à une structure globale, et de processus “vente/création” à des processus “catalogue/vente”. Deux ans après avoir opéré ces changements, l’entreprise ne progressait toujours pas et continuait d’être déficitaire. Nous avons identifié que cette contre performance était principalement due au fait que les équipes ne savaient – tout simplement pas – comment appliquer les nouvelles directives liées aux changement organisationnels et structurels. Notre intervention a principalement consisté à écouter les dirigeants puis les équipes au sujet de la culture de l’entreprise, puis rapprocher les différents points de vue et permettre à chacun de prendre conscience, à la fois de l’existant tel que nous pouvons le mesurer, mais également des écarts de perceptions entre dirigeants et équipes, aussi bien globalement que régionalement.
L’accompagnement a duré 9 mois, durant lesquels nous avons coaché les dirigeants et des équipes projets sur trois continents, dans la réalisation de projets de changements liés aux différences de perceptions et écarts de performance mesurés durant la période de diagnostic. A la fin du programme, l’entreprise avait réalisé 9 projets majeurs en appliquant les nouveaux comportements, nécessaires à la réussite des changements précédents. Deux ans après cette intervention, l’entreprise avait re-gagné des parts de marché et retrouvé de la profitabilité. A la demande des dirigeants, nous avons mené une deuxième vague d’entretiens et diagnostic, utilisant la même approche, et mesuré une évolution de la culture de l’entreprise sur 6 des 9 facteurs observés. Nous accompagnons de nouveau cette entreprise pour faire, maintenant, évoluer les trois facteurs qui n’avait pas fait l’objet de projets spécifiques durant le premier programme.

Pensez-vous que la culture d’entreprise ne se résume qu’à la seule somme des valeurs des salariés ? Ou au contraire à bien plus que cela ?
A la lumière de l’exemple ci-dessus, on peut dire que ce qui prédomine, c’est la culture de l’entreprise, elle-même créée par les dirigeants et renforcée par des années de pratique – et bien sur – par le fait qu’elle recrute et forme des salariés dont les valeurs sont adaptés à cette culture. Selon moi, les valeurs individuelles constituent un élément de la culture mais pas LA culture.

Qu’est ce qui fait une bonne culture selon-vous ? Une mauvaise ?
Pour moi il n’y a pas de bonne ou de mauvaise culture mais UNE culture propre à l’entreprise. Celle-ci est forcément bonne dans le sens où elle a contribué à la naissance d’une aventure entrepreneuriale et à son maintien jusqu’au moment où cette même culture n’est plus forcément adaptée à la taille ou l’activité principale de l’entreprise et/ou à son environnement réglementaire, sociétal, concurrentiel, technologique, etc.

Vous êtes vous aperçu d’un secteur en particulier ou la culture d’entreprise serait prépondérante ?
Non, je crois que toute organisation développe une culture propre et la partage avec son environnement. Dans ce cas, aucun secteur n’échappe à l’importance de la réponse de l’environnement à sa culture. Je dirais même que les entreprises ne sont pas les seules organisations à être impactées par la culture. Il en va de même pour les armées (exemple de l’échec de l’armée Israelienne lors de la dernière guerre avec le Hezbolah au Liban). La culture de l’église Catholique confrontée au changements sociétaux sous Benoit XVI. La culture du secret des organisations d’état et politiques face à l’émergence des médias alternatifs (wikileak, mediapart,…).

Pensez-vous que les entreprises ont une vision juste de leur culture ?
Mon expérience est que, s’il existe souvent une distorsion entre la perception des managers et des employés au sujet de la culture de leur entreprise, ils la connaissent forcément très bien. Ils ne sont pas forcément capables de la mettre en mots, mais savent la décrire de façon très compréhensible, et souvent, cela correspond très bien à ce que l’on est capable de mesurer avec nos outils de diagnostic. Le seul intérêt de cette mesure, dès lors, repose sur l’utilisation que l’on peut faire d’une mesure précise et partagée de la culture. D’abord il est plus aisé de communiquer à propos du changement quand on a un langage commun (ce que permet un outil de diagnostic). Ensuite on peut mieux cibler les changements de comportement, donc être plus efficace puisque centré sur les enjeux majeurs. Enfin, en utilisant un outil de diagnostic, on peut mesurer précisément les écarts entre avant et après une intervention.

Avez-vous déjà aidé une entreprise à faire évoluer sa culture ? Est-ce possible d’orchestrer un changement de culture ? Ou est-ce quelque chose de naturel qu’il faut prendre comme tel ?
Comme décrit dans l’exemple plus haut, on peut aider une entreprise à changer de culture. Il est même plutôt “facile” d’orchestrer un tel changement. Je met le mot entre guillemets car, comme pour la réparation de tout système complexe, l’accompagnement à l’évolution d’une culture d’entreprise, si elle est facile à orchestrer, nécessite néanmoins d’être abordé de façon précise. Par contre, je ne crois pas que le changement de culture soit quelque chose de naturel. Il ne peut s’opérer seul, ni du jour au lendemain. Parfois, par contre, un changement de dirigeant peut beaucoup aider, car après tout, c’est le dirigeant qui “impose” la culture.

Finalement, peut-il exister des conflits entre votre propre culture d’entreprise et celles des entreprises dans lesquelles vous intervenez ? En d’autres termes, n’est ce pas difficile d’intervenir auprès d’entreprises qui ne prônent pas les mêmes valeurs que la votre ?
Bien sûr, et cela s’est déjà produit. Dans ce cas, je dirai que je n’ai pas fait mon métier correctement car je crois que pour accompagner le changement de culture d’une organisation, il faut être capable de l’adopter pour en comprendre tous les rouages. En fait, le changement de culture ne peut se faire qu’en adoptant des comportements différents car sinon, le changement ne s’opère qu’au niveau cognitif. Le consultant, s’il comprend intellectuellement, les éléments constitutifs de la culture de son client, mais n’est pas capable d’en adopter les comportements, risque de tenter d’imposer un mode de fonctionnement standard, qui – et ce fut le cas dans l’une de mes interventions – de peut fonctionner dans le contexte particulier de l’entreprise.

Le logiciel Vadequa

Le logiciel Vadequa permet de mesurer la culture d’une entreprise et de gérer les recrutements : il tient compte dans un premier temps de l’avis des collaborateurs concernant leur culture d’entreprise, et dans un second temps, il prend en compte les valeurs personnelles du candidat pour permettre de suggérer à quel degré il serait en adéquation culturelle avec l’entreprise. Que pensez-vous de cette idée ?
Je trouve l’idée du logiciel Vadequa très pertinente car avec ce procédé, on obtient, à la fois, une vision précise de la perception des employés de la culture de l’entreprise, donc les écarts de perceptions entre les différentes composantes de l’entreprise, les éventuels conflits et compatibilités entres les valeurs individuelles et la culture mais également les éventuels différents groupes de valeurs individuelles. 

Selon vous, quels éléments doivent impérativement être pris en compte pour établir une adéquation entre un candidat et une culture d’entreprise ?
Je ne peux me prononcer à ce sujet car le recrutement n’entre pas du tout dans le scope de mes activités. 

En dehors des activités de recrutement, voyez-vous une autre utilisation de cet outil de diagnostic ?
Bien évidemment dans le diagnostic et l’accompagnement au changement de culture d’entreprise.

Vous êtes un expert dans un sujet où la culture d’entreprise joue un rôle important et vous souhaitez témoigner ?

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Arnaud Knobloch
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