Pourquoi la France est-elle un des derniers pays à utiliser la graphologie ? Que ce cache t-il derrière cette pratique et pourquoi nous ne devrions PAS l’utiliser ?
En 2007, en France, 69% des consultants interrogés déclarent avoir recours à la graphologie et ce à la demande du client (enquête Oasys ConsultantRetrouver). En comparaison, on retrouve dans un numéro spécial de la revue européenne de Psychologie Appliqué de 1991 les résultats suivant. 2,9% d’utilisation systématique en Grande Bretagne, 2.3% en Allemagne 2% en Norvège, 3% d’utilisation au Pays Bas et 2.8% pour les États-Unis.
L’étude montrait que dans l’ensemble de ces pays, l’utilisation de la graphologie en recrutement tendait à disparaitre. Pour comparer ce qui est comparable, en France sur la même période (étude mené en 1990), la graphologie était utilisée systématiquement par 55% des recruteurs.
Même si son utilisation est de moins en moins systématique, la France reste championne du monde de graphologie loin devant tous les autres pays.
Alors pourquoi autant de controverse autour de cette technique ? Top 5 des reproches fait à la graphologie.
1 – La graphologie n’est pas une science.
On retrouve souvent l’idée que la graphologie est une science, une science humaine. Mais une science « consiste à décrire objectivement des phénomènes, rechercher les relations (ou les lois) qui les relient et tenter de les expliquer en élaborant des théories susceptibles d’être réfutées » (Michel Huteau).La graphologie se contente de décrire l’écriture pour ensuite faire des liens avec la personnalité par simple affirmation, postulat, sans utiliser de fondement théorique, ni d’expérimentation. Il n’y a – à notre connaissance – aucune étude graphologique essayant de remettre en cause ces postulats. Il n’y a d’ailleurs presque aucune étude scientifique montrant que l’on peut déduire de l’écriture la personnalité d’un individu. Par contre de nombreuses études scientifiques tendent à démontrer que la graphologie à environ la même validité que le lancer de CV pour sélectionner un candidat lors d’un test de recrutement (soit une validité quasi nulle, cela va sans dire).
2 – Les graphologues ne sont pas des spécialistes du recrutement.
Puisque les graphologues se disent spécialistes, ils devraient avoir une formation « solide. » Comparons leurs formations à celle des autres spécialistes du recrutement.
Par exemple, la formation proposée par le CNPG et pouvant donner accès au diplôme de graphologue, dure trois ans et comprend au totale 124 heures (oui, on vous parle bien de 40heures par ans ! Soit à peine plus qu’une semaine de travail à temps plein !).
Pour comparer les étudiants sortant d’un master 2 de psychologie du travail (pouvant postuler au titre de psychologue) ont une formation d’environ 3200 heures. Soit 26 fois plus longtemps !
On peut se questionner sur le niveau d’expertise amené par une si pauvre formation. On ne citera que la méta-analyse de Neter et Ben-Shakar qui montre que l’évaluation graphologique par des non-graphologues a des résultats identiques voir meilleurs que ceux des graphologues…
3 – La graphologie est mal vue par les candidats.
Lorsqu’on connait l’importance de la perception de justice par les salariés et a fortiori pour les candidats au recrutement (Cf. l’article sur la justice organisationnelle) il parait intéressant de se questionner sur la perception qu’ont les candidats de la graphologie.
Dans une étude de Steiner (1996) qui demande à des individus de noter 10 techniques de recrutement sur une échelle de 1 à 7. La graphologie arrive au 8ème rang avec un score de 3.23.
On conclut que la graphologie n’est donc pas bien vue par les candidats.
4 – L’utilisation de la graphologie pour un recrutement n’est pas légale.
Cette partie est plus controversée, en effet les défenseurs de la graphologie insistent sur sa légalité et il n’existe pas de décision de justice condamnant cette technique. Cependant l’article Article L1221-8 du code du travail nous dit que « les méthodes et techniques d’aide au recrutement ou d’évaluation des salariés et des candidats à un emploi doivent être pertinentes au regard de la finalité poursuivie. »
Alors l’évaluation de la personnalité par la graphologie dans un recrutement est-elle pertinente ? Si comme nous vous pensez qu’il est pertinent d’utiliser des tests valides scientifiquement je vous laisse en juger de la légalité en lisant la suite.
5 – La graphologie n’est pas un test de recrutement.
Ce n’est d’ailleurs pas un test tout court. On retrouve dans une publication de Jean-Pierre Rolland la définition suivante d’un test psychologique : c’est « une méthode systématique (objective et standardisée) d’observation d’échantillon de conduite. Ces échantillons de conduites sont quantifiés (les observations sont transformées en nombres), ces nombres sont ordinairement agrégés en score à partir desquels, par comparaison aux scores (issus de la même procédure) observés sur un échantillon pertinent, l’on réalise des inférences sur des caractéristiques psychologiques (aptitudes, traits, [personnalité]…) sous jacentes ».
L’utilisation de la graphologie pour prédire la personnalité d’un candidat est-elle pertinente ?
- La graphologie est-elle fiable ?
Sur la fidélité test-retest, la graphologie obtient un coefficient à peine supérieur à 0.7, c’est-à-dire que si un candidat est évalué deux fois, par le même graphologue, il y aura 30% de différence entre les deux analyses graphologique. En déduction 30% de l’analyse est due au hasard.
Pour la fidélité inter-juges, Neter et Ben-Shaker montrent qu’elle varie suivant les études de 0.39 à 0.74. L’analyse d’une même lettre par des graphologues différents rend compte des mêmes résultats dans 39% à 74% des cas. Ce qui montre que l’évaluation de la graphologie varie suivant l’évaluateur lui-même, le graphologue.
- Qu’en est-il de sa validité ?
D’après la méta-analyse menée par Geoffrey Dean sur 37 études, la validité prédictive de la graphologie pour un test neutre (ne contenant pas d’information sur un candidat) est de 0.08. C’est-à-dire qu’un graphologue étudiant uniquement l’écriture (et non le contenu d’une lettre) ne va prédire la réussite professionnelle que pour 8 personnes sur 100. Moins d’une personne sur 10 !
Lorsqu’on l’utilise comme une technique complémentaire, sa validité prédictive atteint un beau zero ! (Schmidt et Hunter, 1998) exactement comme notre lancé de CV.
Contrairement au discours des graphologues, aucune expérience scientifique n’a montré que la graphologie ne révèle la personnalité, les aptitudes ou les performances professionnelles. Elles montrent majoritairement l’inverse.
A vrai dire, la graphologie a quand même quelques avantages, elle permet de savoir si les candidats ont une calligraphie soignée…
Elle permettrait même de pouvoir changer de personnalité en quelques cours (rien que ça !). En effet si l’écriture reflète la personnalité, et puisque les graphologues (par la graphothérapie) nous proposent d’améliorer notre écriture, alors améliorerait-elle notre personnalité ? Et dire qu’on la pensait relativement stable à travers le temps…
Alors pourquoi continuez-vous à l’utiliser ?
Quand on sait que dans 59% des cas, les consultants ne refusent pas un candidat au vu de l’analyse graphologique. Qu’en est-il de son utilité ?
Doit-on garantir un recrutement ou utiliser les techniques qui satisfont le client ?
Quand on voit le coût d’un mauvais recrutement (100 à 150% du salaire brut mensuel de la personne recrutée), une technique fiable est-elle plus rentable que la graphologie ?
Mieux vaut-il accepter d’effectuer un recrutement en se pliant aux exigences d’un client ou au contraire essayer d’apporter son expertise en utilisant des techniques validées scientifiquement et soutenues par des construits théoriques solides ?
[…] trouve tout et n’importe quoi dans les tests de personnalité. On ne reviendra pas sur le cas de la graphologie, mais dans l’ensemble il existe un grand nombre de modèles de la personnalité. Actuellement le […]